Les extraits de l’article de Sciences et Avenir ci-dessous (publié le 23/12/2018) présentent de manière accessible les principes qui sous-tendent la pratique de la méditation comme elle est abordée dans le cadre des cycles MBSR en 8 semaines. Dans cette interview, Joël de Rosnay définit l’esprit comme la conscience consciente d’elle-même, non distincte du corps. Selon lui, nous pouvons influencer positivement notre programme génétique à l’aide de cinq clés : une nutrition équilibrée; la pratique régulière d’une activité physique; la gestion du stress par la respiration, le yoga, la méditation; le plaisir et l’harmonie du réseau social, familial, professionnel…


« La conviction qu’il existe une relation forte entre le corps et l’esprit émerge peu à peu chez les chercheurs et les médecins. Mais que signifie le mot « esprit » ?

Il ne renvoie pas au concept de « spirituel » au sens le plus large, métaphysique ou religieux. Mais à une conscience consciente d’elle-même. La conscience n’est pas distincte du corps. Elle émerge de l’interdépendance de ses différentes fonctions, représentées par les organes : cerveau, coeur, poumons, intestins, foie ou reins, en relation avec leur environnement. Avec pour résultat l’apparition d’un sentiment de soi. « Cogito ergo sum », je pense donc je suis. Et si je sais que je suis, que j’existe, je réagis instantanément à toute une série d’informations venues de l’extérieur qui touchent mon corps, ma raison, et peuvent altérer ma santé. On se sent malade, on se rend malade, on tombe malade. Certaines expressions communes témoignent de ce lien : « être mal dans sa peau », « se faire un sang d’encre ». Il existe, selon moi, un feedback constant entre le corps et l’esprit, notamment par l’intermédiaire de neurotransmetteurs. Le cerveau ne jouant pas un rôle dominateur, mais coordinateur. Une interrelation montrée notamment par le neurobiologiste français Jean-Pierre Changeux.

Longtemps, corps et esprit ont pourtant été séparés dans la civilisation occidentale, au contraire des traditions indiennes ou chinoises par exemple. Pourquoi ?

Cette rupture vient en partie de la primauté donnée à la raison suite aux travaux du philosophe, physicien et mathématicien français René Descartes au XVIIe siècle. Descartes pensait possible de découper des systèmes complexes comme l’être humain en éléments distincts, qu’il faut considérer, analyser séparément. D’où le dualisme âme et corps, lesquels, pour lui, ne sont pas de même substance. Mais la religion a aussi joué son rôle. Pour les théologiens, l’esprit est de nature divine, donc séparé du corps. Le christianisme a ainsi inventé le Saint-Esprit, lequel figure dans la Trinité aux côtés du Père et du Fils et participe d’une même essence. La médecine moderne s’est inscrite dans ce dualisme, délivrant des médicaments pour le corps sans se préoccuper de l’esprit.

Vous parlez beaucoup du stress. Est-il central dans cette relation entre le corps et l’esprit ?

Tout à fait. Au départ, le stress est un mot positif : c’est la capacité de l’organisme à faire face aux contraintes de son environnement, qui conduit à de nombreuses actions positives. Pas seulement à se montrer réactif lorsqu’on est menacé par un danger. Mais aussi à accomplir les plus belles réalisations. Ainsi, pour conjurer le stress provoqué par la peur de la mort, l’artiste crée des tableaux et de la musique, l’entrepreneur fonde une société, l’écrivain écrit un livre… Mais il existe aussi un mauvais stress, chronique, qui met l’organisme en état de détresse. Il le sature de cortisol avec toutes sortes de conséquences négatives, dont l’inflammation, l’oxydation, deux grands tueurs qui ont pour conséquence des maladies comme celle de Parkinson, la cataracte, les rhumatismes, les affections auto-immunes… Le corps rouille et s’attaque lui-même.

Depuis quelque temps, vous communiquez beaucoup sur l’épigénétique. De quoi s’agit-il, et comment trouve-t-elle sa place dans ces interactions corps-esprit ?

D’abord, une définition : le terme épi veut dire au-dessus, au-delà. L’épigénétique est donc une sorte de métaprogramme qui agit sur le programme génétique. Pour faire la comparaison avec un ordinateur, vous avez d’un côté un programme figé qui le fait marcher et, « au-dessus », des applis qui permettent de le moduler. Par exemple d’écouter de la musique en regardant la météo ou les news. De manière analogue, en biologie, il existe le programme génétique de base qui détermine la fabrication des protéines et des enzymes. Et, « au-dessus », des applis que l’on peut contrôler soi-même et qui permettent de moduler l’expression des gènes : allumés, éteints, plus ou moins actifs. Alors que nous avons pensé pendant très longtemps que nous étions complètement déterminés par notre programme génétique, nous le savons aujourd’hui modulable. Il est donc possible d’agir et de faire quelque chose pour soi.

De quelle manière ?

Les cinq clés : une nutrition équilibrée, c’est fondamental, peut-être même la priorité des priorités ; la pratique régulière d’une activité physique, 20 à 30 minutes par jour, même s’il s’agit simplement de marche ; la gestion du stress par la respiration, le yoga, la méditation… ; le plaisir, que l’on oublie trop souvent à cause des injonctions séculaires de l’Église, mais qui est le moteur de la vie ; enfin, l’harmonie du réseau social, familial, professionnel. Cette harmonie-là favorise la sécrétion d’hormones : endorphines, ocytocine, dopamine qui créent dans le corps un état de bien-être et contribuent au fonctionnement harmonieux des gènes et donc des organes.

Ce sont des règles de bon sens. L’épigénétique y joue-t-elle vraiment un rôle ?

Ces vingt dernières années, de nombreuses études scientifiques ont démontré que si l’on applique ces préceptes, le corps fabrique des molécules qui s’insèrent dans le noyau des cellules. Des sortes d’interrupteurs chimiques qui ouvrent ou ferment certains gènes. Ou des enzymes qui empêchent leur traduction en protéines. Le plus incroyable, c’est que les résultats se voient très vite, parfois en une semaine ou deux. D’où une forme de responsabilisation de l’être humain. »

Lien vers l’article : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/il-existe-un-feedback-constant-entre-le-corps-et-l-esprit_130233?fbclid=IwAR1To2aVmRlEI8pojApvs7by3bbPWDYtC-JZf6Sly_0-lljvTtik4QXYsUA